Abonnez-vous au Flux RSS de l' "Autre Monde des Educateurs Spécialisés" en cliquant sur le bouton correspondant de votre navigateur.. Si si! Cherchez bien, il ressemble à ça, et il est juste à côté:

15 juin 2008

V.

Salut
Après lecture de tous ces départs, me revient en mémoire celui de V., il y a quelques mois maintenant.

V., jeune femme de 18 ans, est hébergée au foyer depuis quelques mois. Nous repérons vite son extrême fragilité psychologique, et cette mise en danger d'elle-même beaucoup trop fréquente. Cela se concrétise par un rapport à l'autre manquant cruellement de distance et de discernement.

Après une déception sentimentale avec celui qui lui avait promis le mariage et le respect de son corps, et qui l'a trahie.. avec une autre, par respect pour elle justement.. elle rencontre un autre jeune homme.
Deux semaines plus tard, elle nous annonce son départ imminent, pour son mariage, dans le pays d'origine de son futur mari.


Nous avons essayé qu'elle parte dans de bonnes conditions, puisque son rêve de vie allait se réaliser. Elle souhaitait depuis quelques mois se convertir à une religion, celle de son copain actuel et celle du précédent copain aussi. Elle l'explique par le fait que sa famille naturelle l'a trop déçue, qu'elle a trop souffert, et qu'à cause d'eux, elle est définitivement ecoeurée par tout ce qui ressemble de près ou de loin à sa culture familiale d'origine. Elle pense qu'en changeant de religion, elle commence une nouvelle vie et qu'elle peut oublier l'ancienne à jamais.
Elle a aussi fait un court séjour dans une famille d'accueil de la même origine que son copain, et cette période a confirmé qu'elle pouvait trouver chez eux (et par extension chez tous ceux de leur confession) l'attention qu'elle n'avait jamais eue. Et comme pour elle, il y a (très très) vite les bons et les méchants, son choix était fait.

Cette proposition de mariage précipité est selon elle la chance de sa vie: elle pourra "s'occuper de son mari, le servir, s'occuper de la maison"(sic), (le rêve de toute femme, quoi!).

Nous lui avons alors proposé de garder sa place au foyer, c'est-à-dire de ne pas mettre fin à sa prise en charge dans l'immédiat, afin qu'elle ait un point de chute à son retour de.. là-bas (10 jours plus tard), au cas où elle voudrait changer d'avis, revenir sur sa décision. Par prudence, simplement.
Mais les quelques minimes précautions que nous avons voulu prendre (nom du futur mari et adresse à l'étranger) ont suffi à ce qu'elle parte en catimini, comme un mari qui irait chercher des cigarettes et qui ne reviendrait jamais.
Elle a laissé derrière elle sa scolarité (à quelques mois des exam), ses effets personnels, et une coquette somme, pourtant difficilement thésaurisée.
Nous avons essayé pendant le peu de temps qui nous était imparti, entre le choix du départ et le départ réel, de la laisser libre de ses actions, tout en tentant de l'amener à un choix éclairé. Aïe, qu'est-ce que ça veut dire??? L'éducateur "suffisamment bon", c'est possible, ça? Difficile de trouver le discours juste, le "ni trop" "ni trop peu". C'est ici que la régulation d'équipe a été importantissime. Les réunions furent hautes en couleurs! En effet, il n'était pas aisé de mettre de côté ce que nous pressentions tous: nous avions des craintes quant aux desseins du mari, qui plus était vue la fragilité psychologique de V. qui n'échappait à personne (membre éducatif ou pas). Et il nous fallait nous débarrasser des représentations sociales de ce cliché, situation d'autant plus délicate qu'elle était persuadée que nous faisions tout pour la dissuader de partir. Etait-ce "socialement correct"?

Tout ceci, sans oublier que nous avons toujours un rôle de protection et que conséquemment nous nous devons de faire ce que nous appelons dans notre jargon "les recommandations d'usage". Nous l'avons donc mise en garde concernant cette future belle-famille qui lui paie tout, qui la prend en charge pour Tout, qui lui fait faire son passeport précipitamment, qui la couvre de cadeaux et qui crédite son portable à souhait..


Elle a été aperçue quelques semaines plus tard dans un quartier voisin. Nous ne savons pas à ce jour si elle s'est mariée, si elle s'est rendue là-bas, si elle est heureuse.. Elle n'est jamais repassée au foyer, sa ligne est désactivée, et les autres jeunes filles hébergées ne l'ont jamais revue non plus.
Maïa.

Début juillet 2008: Comme s'il suffisait d'en parler, nous avons eu des échos par messageries interposées.. un peu le téléphone arabe, en quelque sorte. Alors? Elle est dans un autre pays lointain (pour ne pas le citer), en passe de se marier avec un autre homme, et elle est heureuse.



Participez en laissant un commentaire, cliquez sur la bulle ci-dessous:

4 commentaires:

Ababakar a dit…

Tout à fait correct ce Post, pas de jugement, on voit bien la logique et les enjeux; on voit moins bien peut-être ton désarroi.
Question: est-ce que vous avez mis en place (ou pensé mettre en place) un système pour savoir ce qu'il est advenu des jeunes qui quittent le service, quelques mois après leurs départ?

Maïa a dit…

Ce que je retiens de ce suivi est qu'il a fallu réagir vite, très vite, et que ça a mobilisé toute l'équipe:
Avec le recul du temps, je suis assez contente de voir que nous pouvons proposer des pistes très particulières à chaque jeune femme et les faire valoir auprès de l'ASE comme cohérentes, ce qui n'était pas gagné d'avance. Il aurait été plus facile d'arrêter la prise en charge pour non-respect de tous les points de son contrat! Bon, tout ça pour qu'elle n'accepte pas notre proposition, certes! mais on a eu l'impression de faire ce qu'il fallait, au moins à chaud. Lors du Bilan d'Action Educative (BAE), un mois après le départ, nous réfléchissons aux "ratés" des suivis et à ce que nous aurions pu faire d'autre, mais pour ça, il faut un autre post............. trop long!

Ce que je retiens encore plus, parce que je sais que j'aurai à m'en "resservir":
elle est partie sans activité scolaire, sans boulot, sans laisser d'adresse, sans argent.. alors.. qu'est-ce que c'est que ce boulot? Elle est où la priorité? Moi, j'ai ma p'tite idée..

Chaque jeune femme accueillie vient nous bousculer un jour ou l'autre sur ce que nous faisons et sur ce que nous sommes, ce sont des "rencontres", de vraies rencontres, qui nous obligent à continuer à réfléchir au sens de nos actions éducatives pour les réajuster et pour ne jamais être sûrs de quoi que ce soit, et ça.. c'est riche et c'est ce que j'aime dans ce métier!

Ababakar a dit…

Moi j'aimerais bien un Post détaillé relatif à ce Bilan d'Action Educative.. ça m'intéresse beaucoup!

Maïa a dit…

Alors j'en ferai un!