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11 juil. 2009

Départ N°15 : Patricia

Salut'

Un petit Post pour évoquer le passage dans mon service d'une jeune majeure de 18 ans à peine, Patricia, arrivée il y tout juste 5 mois et demi et partie il y a une quinzaine de jours.

Un petit bout de jeune femme (trop) discrète, polie, respectueuse, bref le rêve de tout éducateur qui n'aime pas "recadrer" à longueur de journée, voire crier, voire très fort, et finir sa journée dans un état de stress qui défie l'imagination de nos décideurs politiques et autres financeurs (oups, ça m'a échappé).

S'étant fait doucement virer de chez l'assistante maternelle qui l'accueillait auparavant, Patricia a été accueillie sur mon groupe avec l'idée qu'une prise en charge basée sur la semi-autonomie la forc
erait à s'impliquer plus dans la gestion de sa propre vie (au moins en devant organiser et gérer son quotidien).

Son quotidien ne lui a posé aucun problème (ménage, courses, repas etc..)

Un hic, Patricia a été accueillie dans un projet de recherche d'emploi et de départ rapide, hors elle ne fait aucune démarche de sa propre initiative. Pourquoi? Et pourquoi se ferme-t-elle complètement et systématiquement dès que l'on aborde sérieusement ce sujet avec elle?

Fort de son constat, nous nous appuyons sur la relation qu'elle a tissé avec une autre jeune majeure, elle aussi en recherche d'emploi, pour l'accompagner dans ses démarches. Il apparait qu'elle est en effet très en difficulté pour les effectuer, qu'il s'agisse d'être au téléphone ou en entretien, de définir quels employeurs cibler ou comment les démarcher. Pire, je pense qu'elle ne supporte
réellement pas être confrontée à ces difficultés ; d'après les regards qui obscurcissent son visage, peut-être même nous en veut-elle alors de la pousser à s'y confronter, quand bien même nous sommes à ses côtés pour l'aider à y faire face. (fichtre qu'elle est longue cette phrase)

Les mois passent, les échéances de contrat APJM d'un mois se succèdent, toujours plus dangereuses. Patricia est "border line" de nous quitter, faute d'implication réelle dans "son" (?) projet.
Elle échappe une première fois à l'exclusion en trouvant in extremis un stage de deux semaine dans son secteur professionnel.

A la fin du mois, son référent social vient la rencontrer : il vient d'apprendre (et nous en informe) que Patricia n'est pas allé au terme de son stage. Son copain s'est fait passé pour un professionnel de la Mission Locale qui la suit et s'en est excusé auprès du responsable de stage.
Patricia a dit à chaque éducateur depuis quelques jours qu'elle ne souhaite pas quitter notre "unité de vie", mais "attend qu'on la vire."


Objectif de la rencontre du jour : la forcer à prendre sa vie en main, en faisant ses propres choix et en arrêtant de subir. La rencontre tripartite (Patricia, son référent social et moi) est menée vraiment avec précision et professionnalisme, comme rarement. C'est un succès.

Patricia demande à partir. Elle va vivre chez son copain. Qui vit chez sa mère. Avec son frère et ses 3 sœurs et le compagnon de Mme et un nombre incalculable d'animaux.


Patricia ne semble pas réjouie d'avoir fait son choix. L'est-il d'ailleurs réellement? Ne répond-elle pas au désir de cette famille? ("Mme C. veut m'accueillir" dit-elle dans l'entretien..)


Elle est un peu troublée quand son référent lui fait comprendre que l'héritage sur lequel elle compte a perdu un "0". (il passe de 100 000 euros espérés à 10 000, au mieux)

Elle est choquée (et c'est rare!) que l'on aborde avec elle le thème de la maternité et la responsabilité que cela implique. Son référent ne veut pas "devoir la rencontrer dans 5 ans pour placer son enfant". (ah oui c'est un peu raide dit comme ça, mais c'est le but!)

2 semaines après son départ, la rumeur la dit enceinte de deux semaines. Patricia, c'est en croisant très fort les doigts que je ne te dis pas "au revoir".

Bon courage

Ababakar

5 commentaires:

Maïa a dit…

Ouh là! Très intéressant! Tu parles des enjeux de la majorité, de l'émergence de projets et indirectement de l'évaluation du travail éducatif. Je m'explique.

Patricia vient juste d'être majeure et on lui demande soudainement de faire des choix pour elle, ce qu'elle ne fait pas jusqu'alors, parce qu'elle est dans une famille d'accueil qui (télé-)guide ses démarches, et elle subit son placement. Quel enjeu cette majorité! P. peut désormais arrêter tout suivi éducatif si elle le souhaite, du jour au lendemain. Oui, mais elle n'aurait plus de moyens d'existence. Du jour au lendemain, elle passe d'un statut d'enfant subissant à un statut d'adulte responsable. N'aurait-t-elle pas besoin de plus de temps?
- pour se poser et apprendre à réfléchir pour elle
- pour accepter sa "mutation" en adulte
- pour attendre l'émergence d'un projet qui lui corresponde (avec votre aide)

Mais l'APJM d'un mois avec projet de recherche d'emploi ne lui permet pas vraiment de pouvoir prendre du temps..comment se centrer sur elle? il n'y a pas la place dans son contrat pour cela. C'est cela qui me fait penser à l'évaluation de notre travail: elle doit rentrer dans la case "recherche d'emploi à l'arrivée au service" et " JF salariée à la sortie" et nos décideurs croiront qu'on a bien travaillé! C'est fou! Mais qu'est-ce qui est important ici? sa recherche d'emploi? en est-elle là dans sa vie? Et si on l'accompagnait plutôt à devenir responsable d'elle, et à établir des relations avec les autres? Réfléchissons d'abord à ce qui pourrait être satisfaisant pour elle et essayons ensuite de l'adapter à ce que nous pouvons proposer. Oui, mais sur un contrat, ça ne ferait pas "sérieux", parce que c'est de l'impalpable, et ça aussi, c'est d'une importance qui "défie l'imagination de nos décideurs" (sic). Donc le risque de passer à côté est bien présent. Et ce sont les personnes accompagnées qui en font les frais!

Maïa a dit…

Si elle avait envie d'avoir un enfant, elle ne pouvait pas rester puisque son référent ne voulait pas placer son enfant dans 5 ans. Discuter de maternité et des conséquences sur les responsabilités, les conditions de vie, son jeune âge, c'est une chose. Faire référence à un placement en est une autre: c'est en quelque sorte lui dire: "je suis là pour t'aider mais je ne t'accorde aucun crédit sur l'avenir. Si tu fais un enfant, il sera placé!" Difficile ensuite d'établir une relation de confiance avec elle. Et l'enjeu peut être important pour quelqu'un qui a lui-même été placé, on le conçoit. Y avait-il nécessité de faire référence au placement pour la faire réagir? et sans oublier que vous êtes deux hommes..
Mais je ne sais pas ce qui a fait que vous abordiez ce sujet là, donc difficile d'en dire plus.
Dans tous les cas, si elle est réellement enceinte, elle a compris le message: ce n'était pas possible avec son référent. Elle commence donc à faire des choix.

Je suis un peu tranchante ici, c'est parce que j'essaie de voir autrement la situation, et de l'extérieur, c'est toujours plus facile. Mais je ne perçois pas le contexte dans sa totalité et je fais certainement des erreurs d'interprétation de ce fait.

A-t-elle la possibilité de revenir dans ton service, institutionnellement parlant?

Ababakar a dit…

Quelle réaction!
Pour ne pas re-faire un post la-dessus je vais faire simple.
d'abord un constat : je ne connaissais pas précisément(une fois de plus) le parcours de cette jeune. Quel besoin en avais-je? C'est bien simple dès son arrivée son référent n'avait qu'une demande : "veillez à ce qu'elle cherche du travail" Pas besoin de dégager une problématique ni d'inventer des objectifs éducatifs ou d'autres axes de travail.

Je me repens ; et surtout je jure de veiller, 2 ans et demi après fait mes débuts dans ce "service", à ne plus accepter que des APJM soient acceptés et rompus sur la base d'un projet de recherche d'emploi.

d'ailleurs si j'ai tant de mal à mettre les Projets individualisés en place, c'est parce que je ne veux pas qu'ils tombent dans ce piège! ET c'est dingue de se rendre compte qu'un accompagnement fondé sur une démarche de projet a vite fait de supprimer une démarche clinique centrée sur la problématique du jeune.

Enfin c'est pas exactement ça mais l'idée est là.

Voilà, faire attention à ce piège. Mais je risque ainsi de subir encore plus de pression qu'aujourd'hui, et à force d'être à contre courant..

Maïa a dit…

Merci pour cette réponse. Je comprends bien, comme tu le dis, que tu composes avec ce qu'on te donne d'emblée.OK.
Dans mon service, nous dissocions bien le contrat APJM du projet individualisé, c'est-à-dire que les objectifs de l'APJM peuvent être assez "brefs et bateaux" tandis que le projet individualisé précise les différents objectifs éducatifs (même si c'est pas tjs si clair dans la réalité)
Quand une JF arrive dans le service, nous fixons un RV avec le référent pour actualiser le contrat APJM même si l'échéance n'est pas atteinte, c'est-à-dire que la personne réécrit son projet APJM en fonction de ce que nous allons pouvoir travailler avec elle. C'est une sorte d'avenant qui nous permet de ne pas nous coincer, car en général, la source de la problématique n'est pas uniquement liée à l'activité professionnelle. Ca nous permet aussi de redire au référent que nous faisons un "accompagnement à visée thérapeutique" (même si c'est un bien grand mot). (et là, je sais que nos deux services diffèrent, Ababakar)
Et si nous n'arrivons pas à dégager ce que la personne attend de nous, nous constatons l'impossibilité de travailler ensemble. Mais le postulat de départ est toujours le même: "ici, tu vas t'occuper de toi, pas uniquement de trouver un travail", parce que nous proposons un service éducatif et nous ne sommes ni le Pôle Emploi, ni la mission locale.

Bon.. j'arrive pas à faire simple, moi.. c'est pas très explicite tout ça.. je crois que ce que je veux dire, c'est qu'il est important de partager l'espace en trois: le référent, le jeune hébergé, le service, pour que tous trois proposent leur projet qui est rarement totalement le même, d'après ma petite expérience.

Exemple:
- pour l'ASE: trouver du travail
- pour le JH ou JF: me sentir libre
- pour l'éducateur: comprendre l'enjeu de l'accès à l'emploi, pour avancer ou faire émerger un nouveau projet.

Donc il y a souvent confrontation, et c'est pas toujours simple!

Maïa a dit…

Il y a quinze jours, Slabya n'est pas rentrée de week-end. Quand nous montons à son studio, nous constatons qu'il est vide et que la clé est sur le bureau!! le message parait clair..

Nous avions tenté de lui faire comprendre il y a quelques semaines qu'il serait mieux de trouver du travail et d'attendre un peu pour aller vivre avec son copain rencontré depuis si peu de temps.

Quelques jours auparavant, elle avait trouvé du travail; et elle aurait appris qu'elle est enceinte, juste avant de ne pas rentrer au foyer..
Je crois qu'on a raté quelque chose..