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21 mars 2009

descente aux enfers


Salut'




L' évènement de la semaine (publié avec une semaine de retard pour laisser s'exprimer Maïa (woh l'excuse^^)) concerne à nouveau le jeune Antoine. On va dire qu'il cherche à marquer son époque. Une chance pour vous, vous allez ainsi avoir la "suite", une fois n'est pas coutume..

Alors suspense... la réponse est OUI! deux fois OUI! Antoine est bien rentré à l'heure ce soir là, et même bien en avance! Il s'est levé seul le lendemain et est bien allé travailler! (ce qui a été vérifié par un appel de ma collègue, très professionnellement dubitative) Alors la réponse à la question "Pourquoi j'ai fait ça?" J'ai envie de répondre : "l'instinct éducatif, le talent, la compétence, cette intuition fine qu'il faut savoir être souple dans l' accompagnement, surtout si cela est une occasion pour le jeune de faire ses preuves, et de créer ainsi une relation de confiance avec l'adulte." mais ce serait mentir.. Je continue à croire qu' initialement il s'agissait simplement d'une faiblesse. Deux jeunes mettent un peu la pression à l' éduc, sans être toutefois dans l'irrespect qui conduit à l'opposition et au conflit. Et c'est pour cela que d'abord, je n'ai pas su appliquer purement et simplement le règlement.

Ensuite, je pense avoir été au même moment conscient de cette faiblesse, et je me suis raccroché aux branches pour y mettre un sens éducatif en répétant un schéma classique de la relation éducative : "je fais un effort en prenant sur moi en terme de responsabilité, je compte sur toi pour être réglo"

Nous étions, je le rappelle, un vendredi soir.. Antoine est allé travailler le samedi, et ce fut son dernier jour. La semaine suivant, n'allant pas en cours, il nous informe que son contrat d'apprentissage est rompu ; lui et son employeur "en ont parlé et ils sont tombés d'accord" sur ce point..




La semaine passe. Nous sommes désormais vendredi matin. Je travaille seul, toujours. En arrivant je lis le rapport de nuit. Ma collègue et un surveillant de nuit ont constaté la veille au soir en partant, vers 22h, qu'il régnait une odeur suspecte de cigarette magique dans le studio d'Antoine, ce qu'ils lui ont fait remarqué. J'apprends ensuite en lisant le cahier de bord qu'elle pense aussi qu'Antoine a bu devant la structure en début d'après midi. Et sur ce je commence ma matinée. Au programme "tour des studios" pour vérifier qui est présent.. Il est 9h, Antoine dort, dans sa chambre et dans le noir, normal..
Je m'absente ensuite de 9h30 à 10h45 pour conduire un autre jeune à un rendez vous médical.
A 11h30, je m'apprête à partir à la banque avec un autre jeune quand je croise Antoine dans la cours de l'établissement. Il me dit bonjour sans s'arrêter et me demande si notre infirmière est présente ce matin. Ce n'est pas le cas. Il poursuit son chemin toujours sans s'arrêter.
20 secondes plus tard, on m'appelle. C'est Sandrine, une autre jeune, qui m'interpelle à travers la cour et me demande de venir. Antoine est avec elle. Arg, je sens qu'il y a problème.
Je m'approche et nous rentrons dans le bureau. Sandrine demande à Antoine de me montrer ce qu'il s'est fait.
Celui-ci rechigne un moment puis me montre son poignet droit. Celui-ci porte plusieurs traces de coups de rasoirs superficiels. Antoine dit que "ce n'est rien" comparé à l'autre bras, qu'il rechigne à montrer toutefois. Il le montre finalement assez rapidement. C'est moche. Son bras gauche est tailladé sur toute sa surface du coude jusqu'au poignet, et recouvert de beaucoup de sang séché.

Certaines coupures sont des plaies relativement larges.

Je demande à Sandrine de nous laisser, et je commence à nettoyer ses coupures avec les produits adéquats. Il se laisse faire. Comme certaines coupures sont larges, il accepte d'aller les faire nettoyer aux Urgences.
J'informe mon chef de service de la situation et nous partons rapidement. Quelqu'un nettoiera ses plaies aux urgences puis Antoine sera admis en pédiatrie. Lors de l'entretien d'admission il dira ne pas avoir de regret si ce n'est celui de "ne pas avoir réussi à se tuer." Il "recommencera jusqu'à ce qu'il y arrive". Il est actuellement toujours hospitalisé en pédiatrie, en attente de rencontrer un pédo-psy.
A suivre..
Epilogue:

Alors que je retourne sur la structure pour lui ramener quelques affaires personnelles et pour m'occuper de ses draps "stp, il sont tachés de sang" la scène est assez glauque. Ses draps sont effectivement tachés de sang sur toute leur étendue. La housse de couette aussi. L'alèse et la taie d'oreiller également. En triant un peu de linge, je trouve dans son panier à linge une serviette de toilette et des torchons à vaisselles très largement imbibés de sang.. A côté de son lit, un portrait recouvrant presqu'entièrement une page format A4, peint avec son sang.

Une inscription.. Fuck The Life.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

une semaine plus tard ou presque.. des nouvelles d'Antoine ?

Ababakar a dit…

Antoine est toujours hospitalisé dans une unité décentralisée de pédo-psychiatrie. Hier il a fugué deux heures et est rentré. "Ne parle pas beaucoup." "très renfermé"

Anonyme a dit…

Cet "antoine" me rappelle étrangement et douloureusement un jeune homme dont j'étais référente en CHRS et qui après plusieurs aller retour foyer-hopital psychiatrique s'était donné la mort. J'en garde le souvenir d'un sentiment d'impuissance bien sur (en tant qu'ES et être humain tout court), et également celui de sa souffrance tellement là, tellement forte, que lorsque j'appris son décès j'ai moi même ressenti ce soulagement (par transfert ? empathie ?) qu'il me décrivait quand il parlait de cette envie si forte de partir.
nanine

Ababakar a dit…

merci de ton témoignage.
Je n'ai pas vécu cette situation mais je crois comprendre comment ce sentiment de soulagement a pu naitre en toi, très certainement par empathie n'en doute pas..
Antoine ne s'est pas donné la mort, il se serait même découvert lors de cette expérience (d'après le pédopsy -très bon) un très rare instinct de vie sur lequel tout repose désormais.
Il s'accroche auj à un projet de vie dans le SUD, au soleil, à sa redécouverte (ensemble) du dessin et de la bande dessinée, et au skateboard..

A suivre